De la perdrix au poulet
Ernest Ottawa. Jean-Marc Niquay
30 Mars 2011
Manawan
« Dans mes rêves, l’orignal me disait : retourne sur ton chemin, va voir tes parents. »
Ernest Ottawa, Nehirowisiw
En quelques décennies, le mode de vie des autochtones s’est transformé radicalement. Dans leurs rêves, les jeunes ne parlent plus aux lièvres ou aux orignaux et en retour, ceux-ci ne leur répondent plus. La livraison du poulet a remplacé la chasse à la perdrix. Et c’est ainsi dans plusieurs domaines. Ce qui n’est pas transmis est perdu et ajoute un poids au cœur des aînés qui ne demandent pas mieux que d’offrir leurs savoirs en héritage aux générations suivantes. Un jour, quand Ernest Ottawa a voulu servir de la perdrix à ses enfants, il leur a dit : « Mange, c’est comme du poulet ! »
Transcription
Intérieur. Ernest Ottawa est assis à gauche de l’écran. Il porte une chemise rouge à carreaux, une veste sans manches en molleton bleu marine et des lunettes. À droite, Jean-Marc Niquay porte une chemise bleue rayée et des verres teintés. Derrière eux, se trouve un congélateur horizontal.
Ernest Ottawa
Moi, quand j’étais jeune, j’rêvais des fois là. J’faisais des rêves où j’rencontrais un orignal pis que j’pouvais parler avec lui. Ou encore quand j’rencontrais une perdrix qui pouvait m’parler. Pis j’lui parlais. Pis y m’comprenait. Pis on parlait, on communiquait ensemble. Ou encore un lièvre, tu sais, euh, avec qui j’pouvais parler. J’lui faisais pas mal. Y m’faisait pas mal. Y’avait personne qui faisait mal.
Même l’orignal, y m’disait, des fois : « Retourne sur ton chemin. Va voir tes parents. ». Des fois, j’ai rêvé à ça, euh, pis euh, des fois, j’en parle à mes… à mes enfants. Eux autres, y font pas ces rêves-là parce que y’ont pas… y’ont pas vécu comme moi. Y’ont pas vécu comme, euh… Ben, c’est-à-dire, euh, avec la modernité pis, euh… Y’ont pas… Y’ont pas tout à fait réalisé peut-être ces choses-là, là.
Euh, d’ailleurs, j’me rappelle une fois quand, quand on était à Québec. J’ai demeuré à peu près quinze… une quinzaine d’années à Québec. Pis euh, des fois, on allait manger au restaurant le dimanche là, euh, pis au St-Hubert Barbecue. Pis on mangeait là. Des fois, on allait manger du poulet pis, euh, mes enfants, y’aimaient ben, bien ça.
Et puis, un jour, on est venus, euh, passer des vacances ici, euh, pendant trois semaines. On est restés dans l’bois, pis j’avais tué pas mal de perdrix. Pis là, ben, j’ai…. Mes enfants me regardaient préparer les perdrix, enlever les plumes pis après ça, ben, tout ouvrir ça, démembrer ça. Pis mes enfants, ben, ça les, euh… ça les avait probablement touchés ça, de me voir faire. De sorte que y voulaient… y voulaient pas l’manger.
Pis moi, j’me rappelle la, la première fois que j’ai mangé du poulet. C’était, euh… J’étais jeune. Mon père était venu au magasin ici pis y’avait acheté un poulet. Pis là, ben, ma mère, y’avait fait cuire le poulet là, pis moi, j’trouvais ça dégueulasse. J’trouvais ça dégueulasse là, du poulet là, t’sais… Blanc pis, euh, une viande blanche pis, euh, la peau blanche. J’trouvais ça dégueulasse. J’voulais pas manger de ça. Pis ma, ma mère, y m’disait : « Mange! Allez! Mange! » Y m’disait : « C’est pareil comme du perdrix. C’est pareil comme d’la perdrix. »
Pis moi, ben, t’sais, euh, de peine et d’misère, t’sais, j’ai mangé un petit peu, t’sais. Finalement, quand on est venus en vacances ici, pis j’te disais là, avec mes, euh… avec mes filles, y voulaient pas manger d’la perdrix. Pis moi, je leur disais : « Mange! C’est pareil comme du poulet! »
[Rires]
Intervieweur
Fait que de peine et d’misère!
Ernest Ottawa
Ça, c’t’à peu près 30 ans après là. Entre 0 et 30 ans là, ç’a changé complètement.
Intervieweur
Ouais.
Une maison trop chaude en hiver
Philip Peastitute. Élisabeth Kaine. Donald Peastitude. Phil Einish
4 Mars 2011
Kawawachikamach
« On ne peut pas effacer de sa mémoire le lieu d’où l’on vient. »
Philip Peastitute, Naskapi
Les aînés qui passent d’une existence nomade à un mode de vie sédentaire emportent avec eux un peu de la terre de leurs ancêtres, terreau de leur identité. Déracinés, sans en avoir fait le choix, ils sont plus sensibles aux mouvements des vents et celui du changement souffle fort. À Kawawachikamach, en plein mois de février, dans sa maison trop chauffée, Philip Peastitute laisse son regard et ses souvenirs s’enfuir par la fenêtre de sa cuisine. Son petit-fils regarde la télévision. Dehors, une motoneige passe.
Transcription
À l’intérieur. Deux hommes sont assis à une table. Derrière eux, une fenêtre montre quelques maisons sur fond de neige. Philip Peastitute est assis à gauche de l’écran. Il porte une chemise verte et une tuque bleue. À droite, Donald Peastitute porte une chemise à carreaux noirs et rouges.
Phil Einish
Il dit qu’il avait environ 20 ans quand ils sont arrivés ici.
Intervieweur
Et ils sont frères?
Phil Einish
Ouais, ils sont frères.
Intervieweur
OK. Donc, il avait, genre, 33 ans?
Phil Einish
Ouais.
Donald Peastitute
[Donald Peastitute parle naskapi.]
Scène suivante. Gros plan sur Philip Peastitute. Derrière lui se trouvent de grandes raquettes traditionnelles en forme de pattes d’ours et une vieille radio placée sur un meuble.
Intervieweur
À partir de là, ils ont 20 ans. Ils ont 30 ans. Ils ont vécu une vie nomade. Et, maintenant, ils vivent dans un village. Comment était-ce émotionnellement pour eux de passer d’un mode de vie à l’autre? Et j’aimerais que Philip comprenne bien la question.
Phil Einish
[Phil Einish parle naskapi. Il parle fort.]
Philip Peastitute s’approche pour mieux entendre. Donald Peastitute se rapproche aussi.
Donald Peastitute
[Donald Peastitute parle naskapi]
Philip Peastitute s’assoit de nouveau. Zoom arrière sur un plan large de Philip et de Donald Peastitute.
Philip Peastitute
[Philip Peastitute parle naskapi.]
Phil Einish
C’était un mode de vie différent là où se trouvait sa maison d’origine. Oui, il y a eu beaucoup de difficultés, mais après… Mais après l’intervention du gouvernement fédéral, les choses se sont améliorées. Les choses se sont améliorées pour les, les conditions de vie.
Gros plan sur Philip Peastitute.
Mais, nous ne pouvons pas effacer les souvenirs, d’où nous venons. On doit savoir d’où, d’où vient notre identité.
Donald Peastitute
[Donald Peastitute parle naskapi.]
Phil Einish
Il est très important que les jeunes, la jeune population, connaissent leurs racines, d’où ils viennent. C’est très important. Et c’est après... Pourquoi ils ont quitté le territoire. C’est à cause de l’aliénation du gouvernement fédéral, en leur demandant et en leur donnant de nouveaux avantages… Ils s’ennuient encore de leur terre natale, de la manière dont ils traitaient avec prudence l’environnement, les ressources, parce qu’ils n’ont pas reçu d’éducation. À ce moment-là, il n’y avait aucune éducation. Ils devaient dépendre de la terre et de ses ressources. Ils étaient donc leurs propres patrons.
Scène suivante. Gros plan sur Philip Peastitute et sur les raquettes derrière lui.
Phil Einish
Non loin d’ici, à quelques milles d’ici, kilomètres, sans motoneige, juste avec des raquettes, ils sont allés jusqu’à Kuujjuaq. C’est comme ça qu’ils ont fait.
Donald Peastitute
[Donald Peastitute parle naskapi.]
Phil Einish
Une chose qui l’a franchement étonné, d’aussi loin qu’il se souvienne, quand les commerçants de fourrures sont arrivés, c’est ce bateau à moteur. Le moteur, c’était nouveau pour lui. C’était quelque chose qu’il n’avait jamais vu auparavant. Que ça puisse pousser un bateau rapidement, c’était quelque chose d’étonnant. Ils avaient toujours pagayé, fait des portages et transporté des sacs à dos.
La caméra se déplace vers la droite. Gros plan sur Donald Peastitute.
Donald Peastitute
[Donald Peastitute parle naskapi.]
Phil Einish
Toboggan, raquettes, etc. Aujourd’hui, tu prends la piste de Ski-Doo, et tu y arrives en deux jours. Mais, jadis, ils ont dû chasser, pêcher et trapper en cours de route. Juste avec des raquettes et un toboggan. Pas de Ski-Doo.
Donald Peastitute
[Donald Peastitute parle naskapi.]
Phil Einish
Il y avait beaucoup, beaucoup de gens dans cette région, dans ces temps-là. Les gens rencontraient toujours d’autres groupes en chemin, partageaient, racontaient des histoires au campement le temps d’une nuit et, après, poursuivaient leur chemin. Une famille, festoyant ensemble, chassant quelques jours dans la région, et repartant. C’est comme ça qu’ils vivaient, les nomades.
Les petits-enfants
Tom Mapachee
28 Juin 2011
Pikogan
« Un petit-enfant, c’est précieux ! »
Tom Mapachee, Anishinabe
Contrairement à ce qui se vit dans la famille de Tom Mapachee, plusieurs aînés ne peuvent pas parler à leurs petits-enfants parce qu’ils ne partagent plus la même langue. La leur s’est perdue sur le chemin de la modernité et les jeunes ne la comprennent plus. Finies les comptines, les légendes et les petites conversations de tous les jours. Finis les appels : « Grand-maman, est-ce que je peux aller dormir chez toi ? » La communication naturelle est rompue, mais l’amour est toujours là. On voudrait répondre : « Viens ! » Le téléphone ne sonne pas.
Transcription
Entrevue réalisée avec Tom Mapachee. Une photo de lui ornemente le son de sa voix.
Intervieweur
C’est touchant, par exemple, hein?
Tom Mapachee
C’est touchant, hein? C’est, c’est ce que je dis. C’est nostalgique quand tu parles de... Parce que eux-autres, y’ont vécu l’évolution de la vie d’un Anishinabe.
Intervieweur
Ils ont connu ça la, la, la vie comme c’était avant, carrément.
Tom Mapachee
Carrément…
Intervieweur
Pis, y’ont tout vu… Ça a tellement dû changer beaucoup dans leur vie. Mais est pessimiste, elle? A pense qu’y’est déjà trop tard pour la langue?
Tom Mapachee
Ben, de plus en plus, les gens y parlent comme ça parce que y’ont l’impression que les jeunes ne les écoutent plus. C’est nous autres, les gens de notre génération à s’approcher d’eux autres, parce que c’est nous autres, on est collés à eux autres. Pis, nous autres, on est collés avec leurs petits-enfants.
Intervieweur
C’est dur de, de, de comment je pourrais… d’envisager que même un, une grand-mère puisse pas parler avec ses petits-enfants. T’sais, euh… de plus loin que ça, OK, penser, euh, mettons les ancêtres parlaient une langue, mais, euh…
Tom Mapachee
Ça doit être terrible, pareil.
Intervieweur
C’est deux générations qui se côtoient là…
Tom Mapachee
Quand tu dis ton p’tit enfant… Moi, j’ai mes petits-enfants là. Je les aime tellement! Peut-être même, des fois, plus que qu’est-ce, que mes propres enfants. Mes propres enfants, je les aimais, mais pas de la même façon que mes p’tits. Quand mes petits-enfants viennent à la maison là, c’est le bonheur total. C’est sûr, mais tu peux jamais dire non à qu’est-ce que ton petit-enfant te demande que’chose. Des fois, ma plus vieille a huit ans là, pis des fois, ma femme a dit : « Ah! J’suis fatiguée là! J’aurais pas le goût que quelqu’un, qu’un petit-enfant appelle. » Ou bedonc, genre, Line appelle à maison. Des fois, elle appelle quinze minutes après, elle appelle : « Grand-maman, je peux-tu venir faire dodo à maison? – Oui, tu peux venir faire dodo. » Quinze minutes avant elle venait juste de dire qu’elle ne pouvait pas.
Intervieweur
Que ça y tentait pas! A veut pas refuser.
Tom Mapachee
A peut pas refuser.
Intervieweur
C’est toujours les grands-mamans pis grands-papas qui sont plus gâteux.
Tom Mapachee
C’est pas pareil.
Intervieweur
Mais au moins, c’est ça… Imaginez pas être capable d’y répondre. De pas être capable de comprendre c’qu’a veut.
Tom Mapachee
C’est ça qui vivent; n’appelaient pas. Les grands-parents qui étaient avec nous autres, l’autre jour là, y vivent la même situation qu’eux autres : les petits-enfants ne les comprennent plus. Ben oui, ça revient toujours, euh, mais c’est ça qu’y vivent eux autres les enfants, parce que en restant à maison, les petits-enfants ne peuvent pas aller les visiter. Le petit-enfant aussi est conscient que grand-maman ne comprend pas quand y parle. Fait que c’pour ça. Ils s’ennuient beaucoup dans leur maison. Parce que pour eux autres, un petit-enfant, c’est précieux.
Intervieweur
C’est ça. C’est une relation spéciale.
Tom Mapachee
Ils voudraient tellement transmettre leurs connaissances, la langue pis raconter des légendes pour eux autres là. Moi, je me rappelle, quand j’étais avec ma grand-mère, elle nous racontait des fois des petites comptines. Que c’était drôle! Des fois, c’était triste. Des fois, c’était un message qu’ils voulaient nous envoyer. Quand on n’écoutait pas là, y’avait toujours une légende qui s’y rattachait à ça. Au lieu de nous chicaner, de nous, comme on dit, de nous chialer là, elle disait : « Venez-vous-en icitte. Je vais vous raconter une histoire là. Les jeunes qui faisaient ça, qui voulaient pas écouter, les enfants, c’est ça qui va vous arriver. » On était assis autour de la grand-mère, pis elle nous racontait ça là. « OK! On joue plus à ça parce que on veut pas que ça nous arrive. » […]
Intervieweur
Seigneur! C’était des belles méthodes!
Tom Mapachee
L’éducation se faisait comme ça.
Intervieweur
Les légendes, ça se faisait par ça…
Tom Mapachee
La légende était utilisée comme ça.
Intervieweur
Mais là, aujourd’hui, vu que les petits-enfants… Ben, en faite, la légende a comme pu trop sa place dans la langue française?
Tom Mapachee
Non, c’est pas comme ça du tout.
Intervieweur
La légende a reste dans la langue algonquine.
Tom Mapachee
Elle reste dans la langue algonquine. Ben, des fois, on parle de d’ça avec les enfants là : « Ah! C’est pas vrai, ça! » C’est comme des comiques, pour eux autres. Les comptines qu’y’ont appris[es] en français. Ça plus la même valeur que nous autres on... Y sont pas capables d’analyser le message qu’y’ont.
Intervieweur
Pis vous autres, étant jeunes, vous étiez capables pareil?
Tom Mapachee
Ben oui!
Intervieweur
Vous compreniez c’est affaires-là!
Tom Mapachee
On était dans le bois, on était avec… proches de nos parents. On comprenait le sens de, le message qu’y’avait là-dedans.
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