Deux-esprits
Gina Metallic et le Quotidien
1 Juillet 2016
Ottawa
Bispiritualité. La réalité est ancienne, mais le terme relativement récent. Il est apparu en 1990, lors de la 3e Conférence annuelle des gais et lesbiennes des Premières Nations. Il désigne des personnes qui se considèrent à la fois comme homme et femme, sans pour autant épouser les rôles généralement attribués à chacun de ces genres. C’est un sentiment intérieur, sans lien avec la sexualité. Dans la tradition autochtone, ces personnes étaient respectées. On leur reconnaissait des dons, dont celui de voir à travers les yeux des deux sexes. Gina Metallic, elle-même un « être-aux-deux-esprits », veut revaloriser la culture bispirituelle. L’accueil qu’elle reçoit auprès des communautés est positif.
Entrevue avec des femmes inuites
Talasie Tulugak
Quand un enfant naît, on le nomme d’après quelqu’un. Il peut s’agir d’un membre de la famille très proche, d’une grand-mère, d’une tante, d’un grand-père. Dans une autre région, on nomme le nouveau-né par rapport à quelqu’un qui est décédé récemment. Pas dans notre région.
Lisa Koperqualuk
C’était le cas avant.
Talasie Tulugak
Plus maintenant.
Marie-Pierre Gadoua
Comment choisissez-vous la personne dont l’enfant portera le nom?
Lisa Koperqualuk
Quand j’étais enceinte de mes enfants, j’ai discuté avec ma mère : « Comment appeler l’enfant si c’est une fille ou un garçon? » Premièrement, peu importe s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. Ils peuvent porter le nom d’un homme ou d’une femme, peu importe le sexe. C’est unisexe. Les noms étaient complètement, vous savez… Il n’y avait pas de genre différent. Dans mon cas, quand mon fils allait naître, nous avons pensé à nos ancêtres, à mon arrière-arrière-arrière-grand-père parce qu’il n’y avait presque personne qui portait son nom, alors nous l’avons appelé Gabriel [Nureki?], qui était le père de [Qilukli?]. J’aurais dû l’appeler « père », mais à cause des complications de la vie et de l’éloignement de la communauté, j’ai fini par l’appeler « mon fils ». C’est mon [ilnik?]. C’est mon fils. Mais il sait qu’il est mon père. De temps en temps, quand il m’envoie un message sur Facebook, il me dit : « Maman, j’ai besoin de... » Non, non, non. Il dit : « Panik, j’ai besoin de cent dollars! » Il l’utilise maintenant pour me faire chanter.
Talasie Tulugak
Quand on vous nomme d’après quelqu’un... Vous êtes une femme, mais vous pourriez porter le nom d’un homme. Ça arrive souvent.
Qumaq Mangiuk
J’ai le nom de mon grand-père.
Talasie Tulugak
Elle a un deuxième prénom. Un nom d’homme.
Lisa Koperqualuk
Il y a plusieurs années, j’avais un ami à Puvirnituk, un homme de mon âge, et [sa femme et lui] attendaient un bébé. Alors, ils m’ont dit qu’ils allaient donner mon nom au bébé si c’était une fille. Et puis, un jour, elle était à Moose Factory, je crois, pour accoucher. Alors le bébé est né. Bien sûr, ils ne savaient pas de quel sexe il était. Et ils m’appellent. Ils sont excités : « Tu as un [Salunaq?] maintenant ». Et j’ai dit : « Wooouh! ». Mais quelques heures plus tard, ils m’ont rappelée : « Non... Nous sommes désolés, Lisa, ce n’était pas une fille. » C’est comme si le bébé avait changé d’avis et était devenu un garçon après. Mais quand j’y repense, et depuis que j’ai appris que, vous savez, dans notre passé, on n’appelait pas les enfants seulement par leur sexe, je regrette que le bébé ne porte pas mon nom, même si c’est un garçon.
Article publié le vendredi 1er juillet 2016 sur le site Web d’Ici Radio-Canada.
http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/788649/gina-mettalic-deux-eprits-autochtone
GINA METALLIC, UNE FEMME AUTOCHTONE ET QUEER
Gina Metallic est une femme Mi'gmaq. Elle a été la première à annoncer qu'elle est Deux-Esprits dans sa communauté de Listuguj en Gaspésie. Surprise par les réactions positives de ses membres, elle a su qu'elle était sur la bonne voie.
Un texte de Vincent Wallon
Gina Metallic explique que le terme Deux-Esprits a fait son apparition dans la communauté autochtone lors de la 3e conférence annuelle des gais et lesbiennes des Premières Nations à Winnipeg en 1990.
Il représente l'expression des genres variés et « s'éloigne de l'aspect purement sexuel pour se rapprocher de la dimension spirituelle ». Ce terme correspond à celui de Queer en anglais.
Aujourd'hui Gina Metallic est travailleuse sociale et spécialiste en protection de l'enfance et en thérapie dans les milieux autochtones.
Une tradition ouverte aux personnes LGBTQ
Elle s'inspire de la tradition autochtone et explique que les êtres aux Deux-Esprits étaient auparavant profondément respectés et avaient leur propre rôle social au sein de chacune des différentes communautés.
Dans certaines, on demandait aux jeunes de choisir un objet : un arc ou un panier lors d'une cérémonie. L'arc était un objet plutôt masculin et le panier féminin. Un jeune qui choisissait un objet dont le rôle était différent de son sexe de naissance se voyait attribuer un don spécial en lien avec la création.
Ils devenaient alors consultants en mariage, enseignants, chefs spirituels, tresseurs de paniers ou fabricants de couvertures et n'épousaient pas les rôles traditionnels attribués aux hommes et aux femmes.
Une christianisation forcée avec une vision binaire des genres
L'évangélisation des communautés autochtones a eu des effets dramatiques sur cet aspect de la société. La fluidité des genres et des sexes n'avait plus sa place. Les rôles étaient déterminés à la naissance : être un homme ou une femme hétérosexuel.
« On peut imaginer le traumatisme des jeunes aux Deux-Esprits quand on leur demandait de choisir le genre de leur sexe de naissance et de jouer des rôles auxquels ils n'adhèraient pas. »
– Gina Metallic
Aujourd'hui, l'homophobie est encore présente à l'école, selon Gina Metallic, qui intervient d'ailleurs avec d'autres sur ce sujet pour réhabiliter la culture bispirituelle autochtone et lui rendre sa place d'honneur.
Une voix féminine et bispirituelle
Gina Mettalic travaille sur le terrain de très près avec les différentes communautés sur les questions LGBTQ. Elle anime des ateliers et des formations afin d'instaurer un dialogue entre les membres des communautés.
Elle veut aussi créer des références et de la littérature sur la bispiritualité autochtone dans une culture de tradition orale.
Diplômée du programme de maîtrise en travail social de l'Université McGill, elle a rédigé sa thèse de doctorat sur le développement de l'identité Deux-Esprit ou bispirituelle.
Les plus vulnérables au suicide sont les personnes LGBTQ
Quand elle se déplace dans une communauté, Gina Mettalic ne sait pas quel accueil lui sera réservé et elle appréhende toujours la rencontre.
La violence et l'intimidation existent à des degrés divers et l'homophobie est plus ou moins forte selon les communautés.
La conversation peut parfois s'avérer difficile et douloureuse, car Gina Metallic aborde souvent la question des pensionnats et des traumatismes qui vont avec.
Vers une évolution positive
Certaines communautés sont plus progressistes que d'autres. Comme beaucoup d'entre elles situées près des centres urbains, les Mohawks de Kahnawake, en Montérégie, sont plus inclusifs et lors de certaines cérémonies par exemple, les femmes peuvent porter d'autres vêtements que des jupes.
Gina Metallic est très optimiste quant à la réappropriation de la culture des Deux-Esprits par les commuanutés autochtones. En tant que travailleuse sociale au centre de santé autochtone Wabano à Ottawa, ses interventions sont de plus en plus reconnues.
Article publié le vendredi 2 février 2018, mis à jour à 0h43 sur le site Web du Quotidien. https://www.lequotidien.com/actualites/transgenres-a-coeur-ouvert-07529a2dbf2a6d769a1cd0fe1bd0de37
TRANSGENRES À COEUR OUVERT
MEGHANN DIONNE
Le Quotidien
Ludovic Dominique, un résident de Mashteuiatsh de 29 ans, et Danielle Cinq-Mars, une Robervaloise de 53 ans, ont vécu des scénarios similaires et en même temps complètement inverses : le premier est passé de femme à homme et le second d’homme à femme. Ils ont répondu aux questions de jeunes cinéastes en herbe de l’école secondaire Kassinu Mamu de Mashteuiatsh qui travaillent à produire un film sur la transsexualité.
L’histoire de Ludovic Dominique, un Autochtone transgenre, n’a rien de banal. Il prend de la testostérone depuis six mois afin de devenir un homme, mais il a toujours su au fond de lui qu’il en était un.
«Avant de prendre de la testostérone, j’étais agressif et mal dans ma peau. J’avais des tendances suicidaires. Je pleurais souvent. Depuis que je prends de la testostérone et que mon corps se masculinise, je me sens calme et moins stressé. Mon visage a changé et j’ai une petite poussée de poils», précise Ludovic.
Son nom et son genre ne sont toutefois pas encore changés sur ses documents officiels puisque cela entraîne des coûts.
Celui qui portait d’abord le nom de Véronique raconte qu’enfant, il jouait avec des jeux de garçon et préférait les vêtements de garçon.
Ses attributs féminins, les hanches et les seins notamment, se sont peu développés, ce qui fait que Ludovic sentait qu’il appartenait au genre masculin.
Le rôle de la religion
«Je suis enfant unique d’une famille chrétienne et c’est à cause de ça que mon processus de “trans identité” a bloqué. Ma mère est une personne très peu renseignée et elle m’a dit : “Véronique, Dieu t’a fait en fille, tu dois rester en fille. Tu peux t’habiller en garçon, mais tu n’es pas un garçon”», se souvient-il. C’était en 2010.
La peur de déplaire
Pendant huit mois, il s’est mis à s’habiller de façon plus féminine afin de plaire à sa mère. «Je voyais que ce n’était pas moi, je n’étais pas bien là-dedans», exprime Ludovic. Il a par la suite recommencé à se vêtir comme un homme, mais a mis de côté son projet d’officialiser son changement de sexe.
Après la mort de sa mère en 2014, il a enfin commencé à mettre la puce à l’oreille à ses proches. «Je me posais des questions à savoir si j’allais perdre mon emploi ou si les gens allaient se moquer de moi», se rappelle-t-il.
Jusqu’à tout récemment, son père n’était toujours pas au courant. Il était l’une des seules personnes à ne pas se douter de la volonté de Ludovic à devenir un homme.
«Les gens m’ont toujours vu habillé en garçon. Les gens étaient inconsciemment préparés. Je n’ai pas vécu de discrimination ni de violence verbale ou physique. Par contre, je ressens de la colère quand on m’appelle au féminin», avoue celui qui travaille comme cuisinier au restaurant de sa communauté.
Son employeur est au courant de sa transformation et l’appuie dans ses démarches.
«Je me sens bien. Les gens m’acceptent et ne me jugent pas. Même les aînés sont au courant. Il y a une bonne ouverture d’esprit dans la communauté», estime Ludovic.
En parlant de son expérience, il espère que d’autres jeunes dans sa situation s’acceptent et dévoilent leur vraie nature.
De jeunes cinéastes de Mashteuiatsh abordent la transsexualité
D’abord timide de parler d’elle devant un petit groupe de jeunes, Danielle Cinq-Mars a rapidement brisé la glace jeudi après-midi à l’école secondaire Kassinu Mamu de Mashteuiatsh. Elle a expliqué sans scrupule les démarches qu’elle a entreprises il y a un an et demi pour devenir une femme de manière plus officielle.
Les cinéastes en herbe ont voulu tout savoir d’elle, allant de son orientation sexuelle à sa relation avec ses proches.
« Ce sont des enfants qui ont besoin d’être coachés et guidés et j’ai essayé de les orienter vers des choses vraies et authentiques. Ils se doivent de montrer quelque chose de réel », souligne Danielle Cinq-Mars.
T.R.A.N.S., le film
Leur court métrage, inspiré de C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée, utilise l’humour pour démystifier les tabous entourant les personnes transgenres. Le scénario est déjà écrit, mais les élèves doivent maintenant penser aux détails plus techniques, aux accessoires et au maquillage avant le tournage prévu dans deux semaines.
« Ç’a été difficile au niveau du scénario. Au départ, le personnage principal se faisait trop brasser par sa famille. On a finalement décidé de tasser le thème de l’agression sexuelle à cause de tout ce qui se passait dans l’actualité », souligne le responsable du projet, Jean-François Corneau.
En rencontrant Danielle Cinq-Mars et Ludovic Dominique, un Autochtone transgenre, ils ont voulu rendre leur personnage principal le plus crédible possible. Joe doit-il changer sa voix ? Doit-il exagérer son maquillage ? Danielle Cinq-Mars croit qu’il doit être le plus naturel possible.
Intéresser les jeunes à l’école
Le processus de création de ce film, qui implique la participation de 22 élèves, a commencé en septembre. Il est appuyé par des organismes de la communauté qui luttent contre le décrochage scolaire.
Le compte à rebours est commencé
Le montage du court métrage de trois minutes doit être complété d’ici la venue du mois d’avril. Il sera présenté sur grand écran à Montréal dans le cadre du gala Clip et jugé par un jury formé de professionnels du milieu. Une trentaine d’écoles à travers le Québec, dont cinq autochtones, participent à ce concours. L’école secondaire de Mashteuiatsh a gagné quelques prix au cours des années passées.
Danielle peine à dénicher un boulot
Depuis qu’elle est devenue une femme, il y a environ un an et demi, Danielle Cinq-Mars a du mal à se trouver un emploi à Roberval. «Je ne sais pas à quel point c’est parce que je suis transgenre, mais ce n’est pas facile», confie-t-elle.
Son répertoire est pourtant très étendu, elle espère travailler dans le domaine du service à la clientèle ou encore de l’administration.
«Un poste d’adjointe administrative pourrait être intéressant. J’ai des connaissances en informatique aussi. Je pourrais faire de la reprographie par exemple», avance Mme Cinq-Mars.
La soudure, c’est fini
Cette dernière a fait de la soudure pendant plusieurs années lorsqu’elle était encore un homme, mais n’a pas l’intention de renouer avec la profession.
Chaque semaine, elle envoie des curriculums vitae et lettres de présentation, mais obtient très peu de réponses.
«Est-ce qu’il y a de la discrimination cachée? En général, les gens sont bien gentils avec moi, mais peut-être ont-ils la philosophie du “pas dans ma cour”», se questionne-t-elle. La Robervaloise voudrait postuler à Saguenay ou à Québec, mais n’a pas les moyens financiers pour s’y rendre afin de passer les entrevues.
Depuis quatre ans, elle accueille les bateaux au port de Roberval durant la belle saison. Elle n’a cependant pas accumulé assez d’heures cet été pour décrocher des prestations d’assurance-emploi.
Choisissez votre expérience vidéo
Vous pouvez continuer votre expérience avec la vidéo immersive en 360° ou choisir la vidéo standard (choix privilégié pour les connexions Internet bas débit).
Standard Immersive 360°Choisissez votre expérience vidéo
Vous pouvez continuer votre expérience avec le vidéo immersif en 360°, vous serez alors redirigé sur le site Youtube. Vous pouvez également continuer à naviguer sur le site actuel en choisissant la vidéo standard (privilégié pour les connexions Internet bas débit).
Immersif sur Youtube Continuer sur le site