Savoir traiter
Pierre Nicolas. Mathilde Dherissard
14 Août 2011
Cacouna
« Le fleuve, c’est le garde-manger. »
Pierre Nicolas, Wolastoq
La culture d’une nation s’inspire du passé, mais s’exprime au présent. Elle recense les relations, intègre les influences, actualise les pratiques, marque l’espace et l’imaginaire. Tous les éléments de l’histoire d’un peuple prouvent la pérennité de sa présence et peuvent servir à étayer une argumentation lors de revendications. Les Malécites de Viger, dont les membres sont dispersés sur un très grand territoire, ont été reconnus comme nation par le gouvernement du Québec en 1989. À la suite d’un arrêt de la Cour suprême sur les droits des autochtones issus de traités, le gouvernement canadien leur octroyait, en 1999, des droits de pêche commerciale. De quoi alimenter pour longtemps l’avenir du « peuple de la belle rivière ».
Transcription
Pierre Nicolas est assis sur une table de pique-nique en bois sur le bord du fleuve Saint-Laurent.
Pierre Nicolas
On peut interpréter ça plutôt comme communauté. Donc, oui, effectivement, c’est la pêche. Quatre-vingts pour cent des revenus de la communauté [sont] basés sur… proviennent de la pêche. Donc, euh, au niveau d’la pêche, on exploite, euh, différentes ressources comme la pêche aux crevettes, la pêche aux crabes, la pêche à l’oursin. Donc, un nouveau créneau chez nous depuis 2007.
Changement de séquence. L’intervieweuse est à gauche de l’écran; Pierre Nicolas, à droite. Ils sont assis côte à côte sur la table de pique-nique. Il y a des arbres feuillus derrière eux, un terrain gazonné et un petit bâtiment blanc.
Ben, l’achat des bateaux, on a… on a eu ça par un traité Marshall dans les années 98. On faisait partie de, euh… de cette… de c’t’groupe-là en tant que Malécites pis habitants du fleuve. Donc, euh, y’a eu, euh, ç’a été donné par le gouvernement à toutes les nations Mi’gmaq, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse. Y’a été proposé des bateaux avec des quotas. Donc, nous, à la demande, à l’époque, c’était Anne qu’[y] était chef. Ben, y’a eu un autre conseil avant elle, mais c’était elle à ce moment-là qu’[y] était… qui a fait la demande avec annexion après. Alors, elle a fait la demande de quatre bateaux pis avec ça, y’avait des quotas qui étaient liés. Donc, euh, oui, c’est depuis 2000 que la nation pêche. Présentement, on est les plus gros pêcheurs de crevettes au Québec avec les quotas. Donc, on a quand même pas loin de 2 000 000… On a 2 350 000 livres, ‘cuse, 2 375 000 livres de crevettes annuellement à pêcher. Donc, ça fait de nous [les] plus gros pêcheurs de crevettes au Québec, t’sais. On a un quota de crabes, dans la même foulée [que] Marshall, qui a été offert avec les, les… le, le… les bateaux. Donc, à l’époque, on avait un quota de 425 000 livres, mais on a embarqué dans un plan conjoint aussi de, de, de… pour la, la... La ressource est en baisse et, en fin de compte, le groupe – c’est par zone, hein? – pis [y]’a eu une proposition de préserver la, la ressource. Donc, y’a un plan conjoint qui a été proposé, pis on est embarqués dans ça. Donc, le quota a baissé chez nous, mais, aujourd’hui, on a eu… On voit qu’on a bien fait parce qu’il y a d’autres zones qui n’ont pas adopté de plan conjoint. Pis aujourd’hui, ces zones-là sont, sont fermées. Y’a des bateaux qui ont vendu leur permis de pêche. Donc, y’a eu une baisse, une diminution, mais ça r’prend.
Fondu au noir.
On parlait de l’usine de transformation de l’oursin là. Pis quand y’ont annoncé ça à la, la MAPAQ, y’étaient heureux! Y’ont dit : « Enfin, au moins y’a une gang au Québec qui [va] prendre ça en main. » Parce que tout c’qui est pêché sur le fleuve Saint-Laurent là… Eille! Y’a, y’a un potentiel, mes amis, énorme! Pis qu’est-ce qui est fait? Ben, c’est vendu aux gens du Maine. Nous autres, les pêcheurs au Nouveau-Brunswick, c’est vendu aux gens du Maine. Eux transforment. C’est niaiseux, la tran… C’est niaiseux, le système. C’est niaiseux, une transformation là, t’sais. Des gonades, de l’oursin, c’est excellent! Avez-vous eu l’occasion d’y goûter?
Intervieweuse
Non, pas moi!
Pierre Nicolas
OK. Puis, y’a un potentiel extraordinaire. Mais quand on a annoncé ça à [la] MAPAQ, y’[ont] dit : « R’garde, on vous accote à cent-mille à l’heure. Pis pas d’problème! Allez-y! » Mais, encore là, on est limité par le nombre de… les ressources humaines pis les ressources financières aussi là, t’sais. Donc, euh… C’est un gros projet puis, eux, y’étaient contents de voir ça, quand fin de compte, surtout que c’est une nation autochtone qui avait… qui avait proposé ça, de faire une petite usine de transformation, ici, à Cacouna, t’sais.
[…]
Pierre Nicolas
Pis euh, l’oursin, ben, c’est un… c’est un projet qu’on… c’est tout nouveau, depuis 2007 ça ici. Y’avait un engouement, pis on a fait des demandes avec le ministère. Ç’a pris une couple d’années, en fin de compte. Y nous ont octroyé un permis de récolte, de pêche à l’oursin, t’sais. Donc… Mais Anne a été un gros joueur dans, dans, dans… pour la, la… au niveau de… des bateaux pis des quotas de pêche pour la nation là, t’sais. En tout cas, c’est le garde-manger. Moi, j’appelle ça, le fleuve… Hein, c’est quoi? Hein, c’est…
Intervieweuse
C’est votre frigo à vous!
L'économie naturelle
Joe Wilmot
10 Décembre 2010
Listuguj
« Ne pas seulement prendre ce qui est là. »
Joe Wilmot, Mi'qmaq
Les ancêtres marchaient dans la forêt sans faire de bruit. Ils chassaient selon leurs besoins et témoignaient du respect envers les bêtes abattues. Ils protégeaient les ressources pour les générations à venir. Peut-on concevoir un développement économique inspiré des valeurs et des pratiques traditionnelles autochtones ? Planter des arbres, ne pas seulement les couper ? Redonner de la vigueur aux populations de saumons en installant des écloseries près des rivières où ils remontent depuis des millénaires ? Pour chaque emprunt fait à la nature, montrer de la bienveillance et en toutes choses, faire preuve de vision ? Autant de questions que se pose Joe Wilmot.
Transcription
À l’intérieur. Très gros plan sur Joe Wilmot.
Intervieweur
Que pensez-vous que votre peuple devrait faire?
Joe Wilmot
Oh! Je vois, tu deviens politique avec moi maintenant. [Rires]. Oh! Comme tout le monde, j’ai une opinion, bien sûr. Par exemple, au lieu de faire de la coupe de bois, j’aimerais voir des gens qui plantent des arbres, en haut, dans nos territoires. Peut-être, peut-être une ferme forestière, si c’était possible. Tu vois ce que je veux dire? Réapprovisionner au lieu de tout couper. Pareil pour nos pêcheurs. Nous pourrions peut-être être, en amont de la rivière, euh, réaliser des frayères pour le saumon, pour aider le saumon, et d’autres choses comme ça. La truite, la truite a besoin d’être, tu sais. Cela ne veut pas dire des piscicultures. Je veux dire, euh, des frayères où ils les élèvent jusqu’à une certaine taille, les relâchent et… Et ils deviennent partie intégrante du produit, euh… Ils deviennent le produit. Je suppose que vous diriez : « Une fois, une fois qu’ils sont partis en mer et que tout le monde est parti... » C’est ce que je verrais se produire.
Il y a eu des efforts dans ce sens. Euh… Nous avons un bateau qui se trouve ici, près du pont, et qui a été utilisé, euh, euh, pour faire une ferme de moules, il y a quelques années. Donc, il y a de l’équipement. Je ne suis pas sûr qu’il y ait encore quelqu’un qui s’occupe de la pisciculture de moules, si elle existe encore. Je ne sais pas. Je ne pourrais pas le dire. Euh, mais c’était un bon exemple de ce qui pouvait arriver. Du moins, au moins, ils produisaient un produit que nous pouvions tous utiliser, euh, et pas seulement extraire ce qui était là. Vous voyez ce que je veux dire?
Parce que c’est ce qui se passe avec notre saumon. Les gens sont juste… On ne remplace rien, tu vois? On, on ne fait que prendre. Et nos arbres, nos forêts en sont un bon exemple. Il suffit d’aller faire un tour dans la réserve, d’aller dans les bois. Et vous verrez qu’il n’y a plus rien. Il n’y a pas d’arbres. Non, plus de grands arbres comme, euh, comme il y en avait avant. Ce serait bien d’avoir ce genre de développement économique. Un développement économique à long terme. Peut-être une coupe plus sélective que ce qui a été fait au cours des dernières décennies. Parce qu’il n’y a plus d’arbres là-haut…
Je me souviens, peut-être parce que j’étais jeune ou quelque chose comme ça, mais il y avait des arbres, des arbres énormes. Mais, euh… Parce que je travaillais. Mon père me faisait travailler dans les bois quand j’étais jeune. Et je me souviens que nous n’étions pas assez nombreux pour abattre tous les arbres. Mais, maintenant, il y a plus de bûcherons là-haut qu’il y a d’arbres! Oui, ils doivent aller loin pour trouver des arbres. C’est la même chose pour le saumon. À mon avis, en tout cas, le saumon n’est plus aussi abondant qu’il l’était autrefois. Même en remontant 20 ans en arrière.
Est-il possible qu’une pisciculture puisse faire une différence pour le saumon? Je ne sais pas, mais il y a un endroit parfait en amont de la rivière. Il y a des endroits naturels pour les saumons, comme ceux où ils vont depuis des millénaires. Je parle de pouvoir gérer ces endroits et de s’assurer que les saumons y montent. Et même s’il faut le faire artificiellement. Mais qu’ils y montent, vous voyez? Une, une, une femelle saumon peut pondre pas mal d’œufs. Et, donc, si un tiers d’entre eux reviennent, vous avez fait quelque chose. Encore une fois, c’est moi, mais il y a une dimension politique là-dedans parce que tout va dans le développement économique maintenant au lieu de… au lieu du renouvellement.
De l’artisanat à la grande production
Jocelyn Paul
26 Mars 2011
Wendake
« Toute l’activité économique gravitait autour de notre identité autochtone. »
Jocelyn Paul, Wendat
La production d’objets de nécessité ne comblait pas uniquement les besoins des communautés. Pour certaines nations, elle se faisait à une échelle industrielle. Au XIXe siècle, les Wendat de Wendake ont approvisionné l’armée britannique en raquettes et en mocassins, puis l’armée canadienne en canots. La confection annuelle de milliers de mocassins exigeait de très grandes quantités de peaux d’orignal et de caribou que les chasseurs et les trappeurs rapportaient de leurs territoires. La création de parcs et les mesures administratives ont tari les sources de matière première. Elles ont amorcé le déclin de la production industrielle, ralenti l’élan de prospérité et fragilisé la transmission de savoir-faire ancestraux.
Transcription
Entrevue téléphonique réalisée avec Jocelyn Paul. Une photo de lui ornemente le son de sa voix.
Jocelyn Paul
Y’a plus de trappeurs présentement au village huron qu’on n’avait v’là 30 ans.
Intervieweur
Ah! oui?
Jocelyn Paul
Ah! oui, oui! C’qu’y faut comprendre, c’est que l’accès au territoire de, de trappe a été rendu très difficile là avec la création du, du parc national des Laurentides là à la fin du 19e siècle. Lorsque le parc des Laurentides a été fondé, ben écoute, euh, j’veux dire y’ont sorti les Indiens de d’là là. C’était la chasse, euh. C’est pas, en fait, la chasse était interdite.
Intervieweur
Aujourd’hui, c’est pu le cas?
Jocelyn Paul
Ben, y’a eu des ententes administratives avec les gouvernements. Y’a encore un peu de tensions. Ça sort dans les journaux, surtout en c’qui concerne la chasse à l’orignal là. Mais, t’sais, le Conseil essaie d’avoir des ententes administratives ou politiques avec le gouvernement pour qu’on puisse accommoder un peu tout l’monde. Mais nous, à Lorette, écoute là, quand je jasais justement avec les vieux, les vieux allaient à la, à la trappe, t’sais, jusque dans les années 20, dans les années 30. Y’avait quelques, y’avait quelques vieux, quelques aînés qui, qui l’faisaient encore, mais y l’faisaient un peu comme des braconniers.
Intervieweur
Ouin, c’est ça!
Jocelyn Paul
Ils étaient pourchassés là par les gardes-chasses. Et puis, euh, donc, ces gens-là, ces aînés-là s’accrochaient à c’te mode de vie là, mais c’tait un mode de vie qui a été, qu’était rendu un, presque pu praticable. À moment donné aussi là, faut qu’tu réalises qu’à Lorette, t’sais, la fabrication de mocassins, de canots, de raquettes, ça date pas d’hier là. Au milieu du 19e siècle, on avait une économie excessivement florissante au niveau de l’artisanat. Mais aussi les gens à Lorette fabriquaient des mocassins pour les troupes britanniques. Ils faisaient des raquettes pour l’armée britannique qui était en garnison.
Intervieweur
Ouais, c’est ça, c’est ça! J’en ai entendu, oui.
Jocelyn Paul
Moi j’ai, dans ma thèse de maîtrise, j’en avais parlé un peu de d’ça, pis j’avais écrit quelques autres papiers, dont entre autres un article que j’ai fait dans Recherche amérindienne v’là peut-être une dizaine d’années là, où j’avais étudié la question avec pas mal de détails. Pis toute l’activité économique à Lorette là, euh, gravitait autour de notre identité autochtone. Mais pour faire des milliers de mocassins annuellement, ça t’prenait de la peau d’orignal, ça t’prenait de la peau de caribou. Fait que les chasseurs ramenaient les peaux. On avait vraiment une économie qui s’basait, qui était basée là-dessus, et qui était somme toute assez florissante là. Mais à un moment donné, écoute, euh, c’est devenu très difficile pour les chasseurs.
Intervieweur
À cause de l’accès au territoire, euh, comme la vannerie à Odanak, qui avait été assez florissante aussi, mais qui a chuté pour X raisons.
Jocelyn Paul
Ben la vannerie aussi à Lorette est très, très, très importante. Icitte, au Musée canadien des civilisations, à Ottawa, y’a des paniers de vannerie là qui ont été faits par Nathalie Sioui, mon arrière-arrière-grand-mère. Sont dans les vitrines, présentement. Euh, c’était très florissant aussi à Lorette. Mais c’t’un savoir qui est comme disparu dans années 50-60. Nous, on l’a perdu avant Odanak.
Intervieweur
Ha!
Jocelyn Paul
Mais les paniers de vannerie, aujourd’hui, ça s’enseigne au village huron.
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